Une fin de journée avec Roger
La petite boutique des horreurs (The Little Shop Of Horrors), comédie horrifique américaine de Roger Corman, sortie en 1960.
Difficile de parler de ce film sans réécrire ce qu'on peut en lire partout et qui a contribué à lui donner son statut d'œuvre « culte », à savoir un tournage marathon de deux jours (précédé, tout de même, par trois semaines de répétitions) lié au fait que Corman souhaitait réutiliser un décor construit pour un autre film et qui devait être détruit au terme de cette échéance. A part une ou deux scènes tournées en extérieur (pour seulement 1100 $), tout se déroule dans la boutique du fleuriste Mushnik (Mel Welles) ou dans l'appartement de la mère hypocondriaque et passablement portée sur la bouteille du héros, le maladroit Seymour Krelboyne (Jonathan Haze).
Ce dernier a récupéré, auprès d'un mystérieux vendeur japonais (haa ! L' Asie et ses secrets millénaires ...), une sorte de plante carnivore mutante qu'il a rebaptisée « Audrey », prénom de la collègue de travail complètement cruche dont il est amoureux. Dès la nuit tombée, Audrey se réveille et réclame qu'on la nourrisse de sang humain ... « Feeeeeed me !!! I'm hungry !». Au fur et à mesure qu'elle grandit, les besoins de la plante augmentent et Seymour se retrouve vite obligé de lui fournir les dépouilles d'individus qu'il tue par maladresse (un vagabond assommé par erreur qui finit broyé sous un train, un dentiste psychopathe occis par sa fraise dentaire au terme d'un duel épique dans son cabinet …). On l'aura compris tout le film baigne dans une ambiance d'humour absurde et très gentiment macabre qui contribue encore à faire son charme.
Autour de la boutique de Mushnik gravite un petit monde de voisins barjots qui n'est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, les ambiances de quartiers juifs new-yorkais décrites par Eisner dans des bandes dessinées comme Dropsie Avenue ou Big City : Burson Fouch (Dick Miller) passe sa vie chez le fleuriste, une salière à la main, et mange les fleurs par bouquets ; la vieille Siddi Shiva (Leola Wendorff) perd tous les jours un proche et vient y faire ses emplettes pour les funérailles ; la mère de Seymour prépare des repas à base de plantes médicinales en descendant ses bouteilles d'élixir du Dr. Tubard (dont l'étiquette certifie qu'elles contiennent au moins 98% d'alcool) ; l'inspecteur de police chargé d'enquêter sur les étranges disparitions survenues dans le quartier, débarque au poste et confie tranquillement à son collègue impavide qu'il a perdu son fils la veille au soir, carbonisé après avoir joué avec des allumettes ; Wilbur Force (Jack Nicholson) croque-mort de son état et lecteur assidu de Pain Magazine aime à se faire arracher les dents, sans novocaïne, pour mieux profiter de la douleur… Au milieu de cette faune de joyeux ravagés, trône la flore de plus en plus encombrante et dévorante d'Audrey dont l'animation ultra-simpliste et l'apparence de cosse géante façon Body Snatchers, donnent au film un cachet rétro-kitsch qui n'est pas pour me déplaire et ne fait qu'une bouchée des pitoyables sangsues géantes caoutchouteuses.
Alors bien sûr, on peut tout à fait vivre sans voir ce film, mais ce serait se priver d'un bon petit plaisir et de nos jours, les petits plaisirs ...
Précisons pour finir que La petit boutique ... n'est pas une comédie musicale, mais en a inspiré une, en 1982, qui a elle-même inspiré un film, sorti en 1986, avec Rick Moranis (le mémorable Louis Tully, conseiller fiscal ringard et voisin de Sigourney Weaver dans SOS Fantômes) dans le rôle de Seymour et réalisé par Frank Oz (l'animateur et la voix de Yoda, et réalisateur de Dark Crystal).