Pierre Etaix, le cinéaste invisible

Voir les films de Pierre Etaix (et de Jean-Claude Carriére, scénariste, dialoguiste et véritable co-auteur) a longtemps été chose impossible après qu'il ait été dépossédé de ses droits par une société de restauration ! Une mobilisation d'amateur et de professionel (dont Woody Allen, Terry Gillian...) a permis la ressortie en 2010 de ses cinq films avec une restauration de qualité et en proposant ses premiers court métrages en bonus. Depuis leur ressortie ses films ont été couronnés de prix et de récompenses dont un oscar d'honneur décerné à Hollywood en 2010 reconnaissant en Pierre Etaix un des derniers représentants du "slapstick".

Graphiste de formation, l'homme est aussi gag man, clown, magicien, affichiste (l'affiche de Mon Oncle), réalisateur, il rencontre Jacques Tati en 1954 sur le tournage de Mon Oncle, assistant à la réalisation il sort son premier court-métrage en 1961 et enchaine cinq films : Le Soupirant - 1963, Yoyo - 1964, Tant qu'on a la santé - 1965, Le Grand Amour - 1969, Pays de Cocagne - 1971.

Au hasard des disponibilités, j'ai commencé sa filmographie à rebours par Le Grand Amour, jolie comédie provinciale racontant l'ennuyeux mariage de raison d'un jeune homme rêveur et timide qui pensera avoir enfin trouvé l'amour avec sa jeune secrétaire (la jolie Nicole Kalfan). Le Grand Amour est une bonne porte d'entrée pour découvrir le monde d'Etaix, si le spectacle d'un couple bourgeois conformiste (ah ces repas du dimanche avec la belle famille) peut manquer un peu de rythme, dès que le timide héros bascule dans l'imaginaire et rêve éveillé de sa secrétaire, le film bascule dans un monde de douce poésie. C'est un peu là le style de Pierre Etaix, un style tout en douceur où l'on part du quotidien et de la banalité pour faire basculer les situations dans le burlesque, un comique d'observation d'une vie qui se déroule tout doucement, les nombreux gags basés sur le déréglement du quotidien (les poivrots, les garçons de café) fonctionnent très bien. Sa belle maîtrise du langage cinématographique permet aussi de crééer des gags à partir de la rigueur et des enchainements des plans. Difficile de ne pas penserà Buster Keaton d'autant plus que son style reste profondément attaché au muet, les films de Pierre Etaix étant fondamentalement des films muets, les bruitages y jouent souvent un rôle plus importants que les dialogues.

J'ai enchainé avec son dernier film Pays de Cocagne, surprise, il s'agit d'un montage d'images réalisées en marge de la tournée des plages de la caravane Europe N°1 avec son épouse Annie Fratellini en 1969. Pierre Etaix filme les radios crochets, les campings, les fêtes poupulaires en intercalant des interviews réalisées à Paris avec des badauds sur des sujets d'actualités (la politique, l'érotisme, la consommation...) Le film par son montage décalé entre images de vacances et commentaires se révèle une charge acide sur les travers de la société consumériste post mai 68. Le film déclencha un véritable scandale lors de sa sortie en février 1971.

En complèment du dvd, En pleine forme, une séquence extraite de son troisième film et qui fonctionne comme un court-métrage autonome sur le thème des vacances et un court brésilien de Jorge Furtado : L'Île aux fleurs -1989, sélectionné par Pierre Etaix pour la ressortie dvd.Ce court-métrage est une des choses les plus fortes qu'il m'a été donné de voir à ce jour, un documentaire sur la production d'une tomate et son cheminement dans les circuits marchands, commenté avec une plate ironie, jusqu'à son arrivée dans la décharge de L'ile aux fleurs, je ne raconte pas la fin. Glaçant (L'ile aux fleurs est visible sur u tube)

 5 dvd de Pierre Etaix disponibles à  la médiathèque Fellini.

Comments

[Madr0x]

C'est très bien Pierre Etaix, je vais essayer de prendre Yoyo, j'ai enchainé avec Shotgun Stories de Jeff Nichols avec Michael Shannon, très bien aussi, et je continue avec B Bad saison 5.

[Madr0x]

Je crois que j'ai trouvé un moyen de poursuivre, en biaisant à peine, mon actuelle immersion mono-maniaque dans le monde du muet !