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CINE CLUB ... L'ÎLE VERTE
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19 décembre 2013

Millénium : Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes (The Girl with the Dragon Tattoo), film américain de David Fincher (2011)

Je tiens à préciser que je n'ai pas lu le bouquin de Larsson, ni vu la première adaptation qui en a été faite en 2009 par Niels Arden Oplev avec Noomi Rapace (et qui, paraît-il, lui est très fidèle). J'ignore donc si les éléments qui m'ont plu, ou déplu, dans le film de Fincher relèvent du matériau d'origine ou s'ils résultent des choix du réalisateur.

Depuis 2002 et le raté Panic Room - j'entends déjà certains esprits chagrins me rétorquer qu'à l'instar de celle de Ridley Scott toute sa filmographie n'est qu'une longue suite de "ratés", passons - depuis 2002, donc, j'avoue me foutre royalement des nouveaux projets de Fincher. Pourquoi ressortir le dossier du tueur du Zodiaque ? Quel intérêt de retracer pendant deux heures la création de Facebook ? A quoi bon une nouvelle adaptation du roman à succès de Stieg Laarson ? Et puis, (é)mu par mes souvenirs d'adolescent et de post-adolescent ... Alien 3, Se7en et Fight Club ... je finis quand même par les voir et leur trouver quelques qualités. Appelons ça "l'effet Fincher".     

Millenium poster

Obligé de se mettre au vert - ou au "blanc" si l'on préfère, l'histoire se déroulant en Suède - suite à un retentissant procès pour diffamation, Mikael Blomkvist (Daniel Craig), journaliste pour le magazine Millénium, accepte l'offre du vieil industriel Henrik Vanger (Christopher Plummer), de venir s'isoler sur son île. Officiellement, le journaliste est chargé d'écrire la biographie de son employeur. Officieusement, ce dernier lui demande de reprendre l'enquête qu'il avait lui même menée sur la mystérieuse disparition de sa nièce, survenue quarante ans plus tôt ...

Un journaliste isolé sur une île. Une île occupée exclusivement par une famille dont les membres se détestent cordialement. Une enquête qui semble incriminer l'un d'entre eux. Que vont faire les autres ? Dépasser leurs rancœurs et faire corps pour se débarrasser de l'investigateur trop curieux ? Ou au contraire offrir à ce dernier les éléments qui vont le mettre sur la piste de la brebis galeuse ? Le postulat de départ était plutôt sympathique et laissait présager d'une version « krisprolls » des Dix petits nègres. Et bien non ! Reliée au continent par un pont, l'île ne donne jamais l'impression d'enfermement ou de solitude qu'on attend d'elle, si ce n'est qu'il n'y a pas de réseau pour les téléphones portables, mais les personnages ne semblent pas avoir tant de coups de fil à passer que ça et chacun peut aller et venir à sa guise vers la ville voisine. Exit l'angoisse des espaces blancs. Exit également la touche Agatha Christie, puisque passées les présentations guère engageantes de la tribu Vanger, Blomkvist mène ses entretiens sans réels tracas (bon d'accord, à un moment il manque de se faire abattre d'un coup de fusil de chasse, mais faut bien qu'il y ait un soupçon de danger). Tout le monde prend le temps de papoter et de répondre patiemment aux questions autour d'une bonne bouteille de vin, d'un verre de whisky ou d'une tasse de café, y compris le vieil oncle Harald, fier de sa collection de photos-souvenirs qui le montrent prendre la pose en uniforme à côté de l'élite du parti nazi.

Autre décision scénaristique dont on ne voit pas trop la finalité : celle de conserver le cadre original suédois du roman. Si encore celui-ci jouait un rôle déterminant dans l'intrigue, on pourrait comprendre, mais ce n'est pas le cas. Dès lors, puisque le film et son casting sont anglo-saxons, pourquoi n'avoir pas simplement transposée l'histoire en Amérique ou en Angleterre ?! J'imagine qu'on y trouve également de la neige en hiver, que le concept de famille bourgeoise qui se déteste y serait vraisemblable, comme le serait celui d'un tueur en série dont le mode opératoire s'inspire des meilleures passages de la Bible. Et si Fincher craignait de ne pas trouver une île pour poser sa caméra, il n'avait qu'à demander à Polanski où il avait été tourner son Ghostwriter … Conséquence de cette fidélité saugrenue à l'univers de Laarson, on se retrouve en présence de James Bond qui répond désormais au nom de Mikael Blomkvist, de Robin Wright (choisie parce qu'elle est grande et blonde ?) qui incarne sa patronne et maîtresse Erika Berger, ou d'un Christopher Plummer à qui l'on a fait la tête de Max von Sydow. Tout ce petit monde vit à Stockholm, boit de l'aquavit en mangeant des knäckebröd au sill, mais parle couramment anglais ... Heureusement, au milieu de ce joyeux bordel de nationalités, on trouve quand même Stellan Skarsgard qui, avec son physique grassouillet de Tom Hanks des banquises, donne de plus en plus l'impression de jouer, dans les productions hollywoodiennes, le rôle de la « caution scandinave ». On lui met un joli pull de chez Burton et hop ! il se transforme en bourgeois de Göteborg. On l'affuble d'une longue perruque blonde et d'une moustache ridicule en guidon de vélo, allez zou … il devient un cruel chef viking. Ils ont même réussi à le coller au générique de Thor (ben oui, ça parle d'un dieu nordique !), mais pas dans le rôle titre, hélas. Avec un casque ailé et un gros maillet à la main, il aurait sans doute été plus crédible que Chris Hemsworth.

 

Millénium 1

 

Salander et Blomkvist plongés dans la lecture de la dernière chronique du Prez

Bon, je critique, je critique, mais toutes ces remarques ne concernent finalement que l'emballage. Généralement dans un polar ce qui retient l'attention du spectateur, ou du lecteur, ce sont avant tout la personnalité de l'enquêteur et la manière dont il s'y prend pour mener à bien sa quête de vérité. Tout le monde se souvient de la performance de Bogart dans Le Faucon maltais, mais qui pourrait vraiment en résumer l'histoire, au-delà du « c'est un type qui veut mettre la main sur une statuette » ? De la même manière, c'est le duo mythique qu'il forme avec Lauren Bacall dans Le Port de l'angoisse qui est passé à la postérité davantage que son intrigue foyalaise (ça c'est du gentilé pour Jean-Pierre Putters ou je m'y connais pas !). Je ne ferai pas l'affront aux puristes de comparer le cinéma de Fincher à celui de Huston ou de Hawks, mais force est de reconnaître que Millénium a le mérite de s'appuyer sur un duo de personnages, dont les univers respectifs radicalement opposés, font en grande partie le sel du film.

Le film se découpe en trois grandes parties basées autant sur l'avancée de l'enquête de Blomkvist que sur celle de ses relations avec Lisbeth Salander, incarnée par Rooney Mara, excellente dans le rôle délicat d'une hackeuse complètement boderline qui aurait pu facilement sombrer dans le ridicule (on notera au passage cette singularité que son prénom, comme celui de Noomi Rapace, précédente interprète du personnage, a la particularité de comporter deux « o » qui se suivent. Une cloose pour avoir le joob ?). Pendant que le journaliste pète dans la soie, se tape sa jolie patronne et installe ses quartiers d'hiver dans le coquet chalet qui lui a alloué Henrik Vanger, Salander doit, de son côté, subir les abus sexuels de l'assistant des services sociaux en charge de son dossier. Mais la hackeuse a plus d'un tour (et surtout une caméra !) dans son sac pour retourner la situation à son avantage et s'imposer petit à petit comme le véritable héros du film. Craignant peut-être que ce basculement progressif du rôle des deux protagonistes n'échappe au spectateur américain moyen, le titre original a d'ailleurs été modifié. Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes devient ainsi La Fille au tatouage de dragon, histoire que tout le monde comprenne bien qui est le personnage central. Après la scène de torture à coups de corde à noeuds dans les burnes de Casino Royal, Daniel Craig met donc à nouveau en jeu sa virilité poutinienne et devient la femme à sauver des mains du tueur psychopathe. S'il veut poursuivre dans cette logique, somme tout intéressante, de déconstruction de son image de mâle alpha, on ne saurait trop lui conseiller de reprendre le rôle de Wes Block, policier adepte des séances SM, tenu autrefois par Clint Eastwood dans La Corde raide de Richard Tuggle ... Quoi qu'il en soit, cette mise en parallèle des personnages permet également d'opposer leurs deux méthodes d'investigations : l'ancienne façon Blomkvist qui sait faire preuve d'empathie et va interroger les gens en prenant des notes dans un calepin et la 2.0 de Salander qui parle aux gens comme à des merdes (quand elle fait l'effort de leur parler) et préfère traquer l'information sur internet ou dans des cartons d'archives. Les deux menant, par des chemins détourner, à la vérité.

Sans jamais atteindre à l'excellence que frisait Zodiac, Fincher livre avec Millénium un thriller à l'esthétique "ikéa" de circonstance, dont l'intérêt repose avant tout sur le décalage réussit entre ses deux acteurs principaux, servi par un montage efficace que souligne à merveille l'excellente bande-son du duo Reznor/Atticus Ros. Appelons ça un bel effort d'artisan. "L'effort Fincher" !

 

 

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Commentaires
L
Pas sur d'avoir envie de l'emprunter au vidéo club après la lecture de ta critique mais qui sait un soir de lassitude. J'ai profité de ma retraite pour voir Sorcerer de Friedkin qui est assez formidable, une curieuse adaptation de la vie de Mata Hari avec Jeanne Moreau - Mata Hari, agent H21, La Terre des Pharaons de Hawks, un Dillinger de 1945 et je suis entrain d'achever Frances avec Jessica Lange. De quoi alimenter les chroniques.
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